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ce malheur, le petit Trésor, le poil hérissé, aboyait furieusement contre le chef de la police.

Migourski, qui venait d’apercevoir Albine, voulut s’approcher d’elle, mais les soldats le retinrent.

— Ce n’est rien, chérie, ce n’est rien, dit-il en souriant de son bon sourire.

— Et voilà la chère petite dame, fit ironiquement le policier. Venez un peu ici. Ce sont les bières de vos enfants, dit-il en indiquant Migourski.

La femme ne put répondre et portant la main à sa gorge, ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit. Ainsi qu’il arrive à l’instant de la mort ou dans les minutes décisives de la vie, en un instant, elle sentit et mesura tout un abîme de sentiments et de pensées, sans pouvoir, rien comprendre, ni croire de son malheur.

Ce qu’elle ressentit d’abord fut l’orgueil blessé à la vue de son mari, le héros, entre les mains de ces brutes qui le tenaient maintenant en leur pouvoir. Puis ce fut une compréhension exacte du malheur qui la frappait. La conscience de son malheur fit surgir le souvenir le plus terrible de sa vie : la mort de ses enfants ; et aussitôt la question se posa. Pourquoi lui avait-on enlevé ses enfants ? Puis un autre : pourquoi cet homme, le meilleur et le plus aimé d’entre tous, son mari, allait-il périr ?

— Qui est-il ? est-ce votre mari ? demanda le maître de police.

— Pourquoi, hurla-t-elle ? Et prise d’un rire fou, elle tomba sur la caisse qui avait été détachée de la voiture.

Louise, toute tremblante de sanglots et le visage inondé de larmes, s’approcha d’elle.