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X


Le cœur d’Albine s’arrêtait d’espoir et de joie, et comme si elle eût voulu partager ses sentiments avec Louise, elle lui désignait du regard tantôt le large dos du cosaque, tantôt le fond du coffre. Louise, d’un air confidentiel, ne cessait de regarder devant elle en plissant de temps en temps ses lèvres.

La journée était claire. De tous côtés s’étendait la steppe déserte et infinie, le trèfle argenté brillant sous les rayons du soleil matinal. De temps en temps seulement, à gauche ou à droite de la route, sur laquelle résonnaient les sabots non ferrés des vifs chevaux bashkirs, on voyait les monticules bâtis par les zizels ; caché derrière, l’animal de garde avertissait du danger en poussant un sifflement aigu et rentrait vivement dans son trou. De temps en temps, on croisait des voyageurs ; tantôt c’était un convoi de cosaques portant du froment, tantôt c’était un bashkir à cheval avec lequel le cosaque échangeait vivement quelques mots en tartare. À chaque relais, on amenait des chevaux frais, bien nourris et les roubles de pourboire que distribuait Albine pressaient l’allure des cochers qui se glorifiaient de marcher comme un courrier d’État.