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qu’il avait connues avant son mariage. Ce qu’il avait découvert en elle, comme dans les femmes en général, l’avait étonné et l’aurait pu désenchanter s’il n’avait pas trouvé en lui un sentiment de tendresse et de — reconnaissance. Pour Albine, comme pour la femme en général, il avait un sentiment de condescendance un peu ironique, mais pour la personnalité d’Albine il ressentait non seulement un amour très tendre, mais une sorte de ravissement et la conscience d’une dette de reconnaissance pour le sacrifice fait qui lui donnait un bonheur immérité, disait-il.

Ainsi l’amour les rendait heureux. Vivant l’un pour l’autre, ils éprouvaient, parmi les étrangers, le sentiment qu’éprouvent deux êtres égarés en plein hiver et qui naturellement se réchauffent. La vieille nourrice Louise, qui avait un dévouement d’esclave pour sa jeune maîtresse, contribuait encore à l’heureuse vie de Migourski. C’était une bonne vieille, qui ronchonnait toujours et qui, inconsciente de son ridicule, tombait amoureuse de tous les hommes.

Les enfants aussi faisaient leur bonheur. Car un an après leur mariage, ils avaient eu un petit garçon ; puis au bout de deux ans et demi, une petite fille. Celui-ci était le véritable portrait de sa mère dont il avait la grâce et la vivacité ; celle-là une jolie petite bête bien portante.

Dans ce tableau de bonheur, il y avait cependant des points noirs. Ils souffraient surtout de l’éloignement de la patrie et de l’humilité de leur situation. C’est Albine qui en pâtissait le plus. Lui, son José, son héros, l’homme idéal, devait rectifier la position devant n’importe quel officier, devait faire un maniement d’arme, monter des factions, obéir sans murmurer !