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Là s’était arrêtée leur correspondance.

Un jour de novembre, Migourski était assis dans le salon de son chef de bataillon en train de donner sa leçon aux deux garçons quand il entendit le carillon des clochettes de la poste. Les patins du traîneau craquèrent sur la neige gelée et tous ces bruits s’arrêtèrent devant le perron. Les enfants coururent pour savoir qui arrivait et Migourski, resté dans la chambre, regardait la porte en attendant leur retour.

La femme du commandant parut.

— C’est pour vous, monsieur, dit-elle. Deux dames vous demandent. Il se peut qu’elles viennent de votre pays, car elles semblent Polonaises. »

Si l’on avait demandé à Migourski son avis sur la possibilité de l’arrivée d’Albine à Oural, il aurait répondu qu’une telle question était inadmissible. Mais au fond de son âme il l’attendait. Le sang au visage, il se dressa et courut vers l’antichambre. Là il vit une grosse femme, à figure grêlée qui se débarrassait d’un fichu. Une autre entrait dans la chambre de la commandante et, entendant des pas derrière elle, se retourna. Sous la capeline, des yeux débordants de joie de vivre brillaient sous les longs cils.

Stupéfait, il s’arrêta sans savoir comment la saluer.

— José, cria-t-elle, l’appelant comme l’appelait jadis son défunt père et comme elle-même avait pris l’habitude de l’appeler dans ses rêves.

Puis, entourant de ses bras le cou de celui qu’elle aimait, elle pressa contre sa poitrine son visage froid et tout rose, riant et pleurant tout ensemble.

La bonne commandante ayant appris qui était Albine et pourquoi elle était venue, la reçut chez elle jusqu’à son mariage.