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et il devait vivre sur la vente des quelques bijoux qui lui restaient.

Son seul et unique plaisir depuis son exil était la correspondance avec Albine et la douce et poétique vision de cette époque où il avait été à Rojanka. Au fur et à mesure de l’éloignement, cette vision s’embellissait encore.

Dans une de ses premières lettres, elle lui avait demandé ce que signifiait ce passage : « quels qu’avaient pu être ses projets et ses rêves ». Il lui répondit que maintenant seulement il pouvait avouer que son rêve avait été de faire d’elle sa femme.

« Je vous aime » avait été la réplique d’Albine.

« Il eut mieux valu ne pas écrire cela, avait-il répondu. Car il était trop dur, maintenant que tout était impossible, d’y songer. »

La lettre d’Albine ne se fit pas attendre dans laquelle elle disait que le mariage était non seulement possible, mais se ferait certainement.

— Je ne puis accepter ce sacrifice dans ma situation actuelle, écrivait-il.

En réponse à cette dernière lettre, il reçut un mandat de deux milles zlotis. Au cachet, il reconnut que c’était un envoi d’Albine et il se souvint que dans une des premières lettres il lui avait écrit en plaisantant le plaisir qu’il avait maintenant à gagner avec ses leçons le peu d’argent nécessaire pour son thé, son tabac et ses livres.

Remettant alors le mandat dans une autre enveloppe, il le lui renvoya en la priant de ne point gâter leurs relations par de tels envois.

« Je ne manque de rien, écrivait-il, et je suis très heureux d’avoir une amie telle que vous. »