Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.


L’ÉVASION


Au printemps de 1830, le jeune Joseph Migourski, fils d’un ami défunt, vint en visite dans la propriété des Iatcheski à Rojanka. Iatcheski était un vieillard de 65 ans à la poitrine large, aux longues moustaches blanches barrant un visage de couleur rouge brique. C’était un patriote du temps du second partage de la Pologne : jeune homme, il avait servi avec Migourski père sous les drapeaux de Kosciuszko. De toutes les forces de son âme de patriote, il détestait Catherine II, « la débauchée apocalyptique », comme il l’appelait, et son amant, l’abject traître Poniatowski. Il croyait à la reconstitution de la Pologne comme il croyait, la nuit, au lever du soleil. En l’an 1812, il avait commandé un régiment dans l’armée de Napoléon qu’il adorait. La chute de celui-ci l’avait accable, mais il ne perdait pas espoir de voir la renaissance d’un royaume de Pologne, sinon entier, tout au moins mutilé : l’ouverture du parlement de Varsovie par Alexandre 1er  raviva ses espoirs, mais la Sainte Alliance et la réaction qu’elle imposa à l’Europe la bêtise de Constantin, reculaient la réalisation de son désir sacré.