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— Je sais que vous êtes un menteur.

Le portier me tourna le dos en haussant les épaules.

— Que voulez-vous que je vous dise ? fit-il.

— Il n’y a pas de « Que voulez-vous que je vous dise ». Conduisez-nous immédiatement dans l’autre salle.

Malgré les supplications du chanteur et les exhortations de la bonne, j’exigeai qu’on appelât le gérant et entraînai mon compagnon.

Le gérant, qui avait entendu la fureur de ma voix et qui vit ma figure courroucée, évita toute discussion et avec une politesse dédaigneuse me dit que je pouvais aller où je voulais. La preuve évidente du mensonge du portier ne put être faite, car ce dernier s’était éclipsé avant que nous fussions entrés dans la salle brillamment éclairée.

Derrière une table, un Anglais soupait en compagnie d’une dame. Le garçon eut beau nous désigner une table à part, j’empoignai mon chanteur tout loqueteux et nous nous assîmes à la table même de l’Anglais en ordonnant d’y apporter la bouteille commencée.

Les Anglais regardèrent d’abord avec étonnement le petit homme plus mort que vif. Puis, soudain furieux, ils se mirent à parler entre eux. La dame repoussa son assiette, dans le froufrou de sa robe de soie, se leva et tous deux disparurent.

À travers la porte vitrée, je voyais l’Anglais nous désigner au garçon en gesticulant. J’attendais avec joie le moment où on allait venir nous expulser, ce qui me permettrait de donner libre cours à toute ma fureur. Maintenant, je constate avec plaisir — quoi