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Dans un coin de cette pièce, meublée seulement de tables, et de bancs de bois nu, une servante bossue lavait la vaisselle. Le garçon qui vint nous servir, en nous considérant avec un sourire mi-bénin, mi~moqueur, gardait ses mains aux poches et, tout en nous écoutant, continuait à causer avec la plongeuse. Il cherchait visiblement à nous faire comprendre que sa situation sociale était infiniment supérieure à celle de mon hôte, que non seulement il n’était pas offensé de nous servir, mais encore que c’était pour lui une plaisanterie charmante.

— Vous voulez du vin ordinaire ? dit-il d’un air entendu, faisant un clin d’œil à mon compagnon.

— Du champagne et du meilleur, fis-je, cherchant à prendre un air magnifique.

Mais ni le champagne, ni mon grand air n’eurent d’action sur le valet. Il sourit en nous regardant ; sans se presser, sortit de sa poche une montre d’or, regarda l’heure et tout doucement, comme en se promenant, sortit de la pièce. Il revint bientôt, accompagné de deux autres garçons qui s’assirent près de la plongeuse, prêtant gaiement leur attention, tout souriants, à ce qu’ils considéraient comme un jeu. Ils étaient comme des parents qui s’amusent de voir leurs enfants jouer aimablement. Seule la servante bossue ne se moquait pas et nous regardait avec compassion.

Bien qu’il me fût difficile et désagréable de causer avec le chanteur et de le servir, sous le feu des yeux des valets, je faisais de mon mieux pour trouver l’allure aisée.

Maintenant, à la lumière, je l’étudiais mieux. Il était vraiment minuscule, presque un nain, mais cependant musclé et bien bâti. Ses cheveux noirs étaient