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descendant les marches, je courus à travers les ténèbres dans la direction de la ville.

Trois hommes ensemble me précédaient. Je leur demandai s’ils n’avaient pas vu le chanteur ; ils me le désignèrent en riant.

Il marchait tout seul, à pas vifs, paraissant toujours grommeler sourdement. Je le rejoignis et lui proposai d’aller quelque part prendre un verre de vin.

Mécontent, il me toisa sans ralentir le pas, mais, ayant compris, il s’arrêta.

— Je ne refuserai pas, puisque vous avez cette bonté, dit-il. Il y a ici un tout petit café, simplet, ajouta-t-il, en désignant un débit encore ouvert.

Ce mot « simplet » me fit immédiatement songer que je ne devais pas l’emmener dans ce petit café, mais au Schweitzerhoff où se trouvaient ceux qui l’avaient entendu chanter. Et, malgré son timide émoi, se défendant de vouloir aller au Schweitzerhoff, endroit trop élégant, j’insistai. Alors, simulant la facilité des manières, il fit pirouetter sa guitare et, tout en sifflotant, m’accompagna au long du quai. Les quelques oisifs qui me virent parler au chanteur et écoutaient ce que nous disions, nous suivirent jusqu’à l’hôtel, attendant sans doute quelques nouvelles sérénades.

Dans le hall, j’avisai un maître d’hôtel et lui commandai une bouteille de vin. Le maître d’hôtel nous regarda en souriant et passa son chemin sans nous répondre. Le gérant à qui je m’adressai ensuite m’écouta très gravement et, toisant des pieds à la tête mon timide compagnon, ordonna d’une voix sévère au portier de nous conduire dans la salle de gauche, débit destiné au petit peuple.