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Au-dessus de la foule du bas s’élevait le bruit des voix et des lazzis de plus en plus nombreux. D’une voix faiblissante, le chanteur répéta une troisième fois sa phrase et sans la terminer il tendit à nouveau sa casquette. Puis, sans attendre, il la remit sur sa tête. Toujours rien, et la foule impitoyable se mit à rire franchement.

Le chanteur, que je vis plus petit encore, souleva sa casquette, prit sa guitare et dit :

Messieurs et Mesdames, je vous remercie et je vous souhaite une bonne nuit.

Un rire franc salua ce dernier geste. Les balcons commençant à se vider, les promeneurs se remirent en marche peu à peu, et le quai, jusqu’ici silencieux, s’anima à nouveau. J’entendis le petit homme grommeler quelques mots ; je le vis partir vers la ville et sa petite silhouette allait diminuant de plus en plus dans le clair de lune. Seuls quelques hommes, en riant, le suivirent à distance…

Je me sentis tout à fait confus, car je ne comprenais pas. Debout à ma place, je suivais sans pensée dans les ténèbres, ce petit homme qui allongeait le pas vers la ville et les promeneurs qui riaient derrière lui. Une douleur sourde montait en moi et comme une honte, pour le petit homme, pour la foule et pour moi-même. Et c’était comme si j’avais demandé de l’argent, qu’on ne m’eût rien donné et qu’on m’eût accablé de quolibets. Le cœur serré, sans me retourner, j’allai vers mon appartement et montai les marches du Schweitzerhoff sans me rendre compte du lourd sentiment qui m’écrasait.

Dans l’entrée toute resplendissante, le portier galonné s’écarta poliment devant moi, ainsi que devant