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Il s’arrêta, se tut un instant, et comme on ne lui donnait rien, il fit pivoter encore sa guitare et annonça :

Maintenant, Messieurs et Mesdames, je vous chanterai l’air du Rigi[1].

Le public élégant de l’hôtel ne dit rien, mais sans bouger attendit la nouvelle chanson, tandis qu’en bas retentissaient quelques rires, sans doute parce que sa façon de s’exprimer était bien drôle, ou peut-être encore parce qu’on ne lui avait rien donné.

Je lui donnai quelques sous qu’il fit passer adroitement d’une main dans l’autre, puis, les ayant mis dans son gousset, il chanta une nouvelle et gracieuse chanson du Tyrol, l’air du Rigi.

Ce morceau, qu’il devait sans doute garder pour la fin, était encore mieux que les autres et provoqua l’assentiment général. L’air terminé, encore une fois il tendit à nouveau sa casquette et répéta son incompréhensible phrase :

Messieurs et Mesdames, si vous croyez que je gagne quelque chose…

Il continuait sans doute à la considérer comme adroite et spirituelle, mais dans sa voix, je déchiffrais maintenant quelque indécision et un peu de timidité enfantine, ce qui s’accordait avec sa petite taille.

Le public élégant se tenait toujours au balcon, dans la lumière des fenêtres éclairées.. Quelques-uns s’entretenaient, sur un ton correctement bas, du chanteur probablement. D’autres contemplaient avec curiosité sa petite silhouette noire et d’un des balcons fusa le rire joyeux d’une jeune fille.

  1. En français dans le texte.