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nécessité d’aimer, l’espoir et la seule joie d’être avait soudain remplacé en moi la fatigue, la distraction et l’indifférence envers le monde entier que j’avais éprouvées un instant auparavant.

— Que vouloir ? Que désirer ? quand de tous côtés je suis entouré de beauté et de poésie, me dis-je, Absorbe-la par profondes gorgées, de toutes tes forces, jouis-en, car que voudrais-tu de plus ? Tout ce bonheur est à toi.

Je m’approchai. Le petit homme était, comme je le sus plus tard, un Tyrolien ambulant. Son petit pied en avant, sa tête dressée en l’air, raclant sa guitare, il se tenait debout sous les fenêtres de l’hôtel, chantant à plusieurs voix sa gracieuse mélodie.

Aussitôt je ressentis de la tendresse et de la reconnaissance pour lui qui avait opéré un tel changement en moi. Autant que je pus le distinguer, il était vêtu d’une antique redingote et d’une vieille casquette bourgeoise et simple, des cheveux noirs, pas trop longs s’échappaient. Son costume n’avait rien d’artistique, mais sa pose, puérilement fougueuse, contrastant avec la petitesse de sa taille, composait un spectacle drolatique et touchant tout ensemble. À l’entrée de l’hôtel, à ses fenêtres et sur ses balcons, se tenaient des dames en larges crinolines, des messieurs avec des faux-cols d’une blancheur immaculée, le portier et les valets en livrées cousues d’or ; dans la rue, parmi la foule et plus loin, sous les tilleuls du boulevard s°étaient arrêtés des garçons d’hôtel, élégants, des cuisiniers aux immenses bonnets blancs, des jeunes filles enlacées ainsi que des promeneurs de toutes sortes. Tous ces gens semblaient éprouver le même