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était assis dans la même attitude, un coude appuyé sur son genou et la tête baissée. Mais son sac déjà rattaché sur son dos.

En voyant rentrer Praskovie avec une petite lampe de fer blanc sans abat-jour, il éleva sur elle ses beaux yeux fatigués et soupira profondément.

— Vous savez, commença-t-elle d’un ton gêné, je n’ai dit à personne qui vous étiez ! J’ai dit simplement que vous étiez un pèlerin, un ancien noble, et que je vous avais connu autrefois. Mais maintenant ne voudriez-vous pas venir prendre du thé dans la salle à manger ?

— Non, Pachinka, je n’ai plus besoin de rien ! Que Dieu vous bénisse. Moi, maintenant, je m’en vais ! Mais d’abord il faut que je vous remercie. Je voudrais pouvoir m’agenouiller devant vous ; mais je sais que cela ne servirait qu’à vous embarrasser ! Pardonnez-moi pour l’amour du Christ.

— Donnez-moi au moins votre bénédiction !

— Dieu se chargera bien de vous bénir. Mais pardonnez-moi pour l’amour du Christ !

Il se releva et s’apprêta à partir ; mais elle le retint, alla lui chercher un morceau de pain beurré, le força à le prendre dans son sac.

La soirée était sombre, et Serge avait à peine dépassé la seconde maison de la rue que déjà Praskovie le perdit de vue. Elle put entendre seulement qu’un chien aboyait sur son passage.

« Voilà donc ce que signifiait ma vision ! Pachinka m’a montré ce que j’aurais dû être. Moi, j’ai vécu pour l’homme, sous prétexte de vivre pour Dieu ; et elle, elle vit en Dieu, en s’imaginant qu’elle vit pour l’homme. La moindre de ses actions, un