Page:Tolstoï - Histoire d’un pauvre homme.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.

donc le petit, je ne puis pourtant me couper en deux.

Praskovie Mikaïlovna tressaillit, se leva et, trottinant vivement dans ses souliers éculés, sortit pour revenir aussitôt, un enfant de deux ans dans les bras.

— Alors, que disais-je ? Ah ! bien. Mon gendre avait une bonne place, ici, et son chef était très aimable ; mais Vania s’irrita et donna sa démission.

— Qu’a-t-il donc ?

— Il est neurasthénique et c’est une maladie terrible. Nous avons consulté. Il faudrait partir, mais nous n’en avons pas les moyens. J’ai toujours espoir que cela va passer. Il ne souffre pas, mais…

Une voix méchante, mais faible, retentit dans la pièce voisine.

— Loukierie ! On l’envoie toujours faire une course quand j’ai besoin d’elle. Maman !…

Praskovie Mikaïlovna interrompit son récit.

— Tout de suite ! cria-t-elle.

Puis, se tournant vers Serge :

— Il n’a pas encore dîné, car il ne peut pas manger avec nous.

Elle ressortit en courant et revint bientôt en essuyant ses mains maigres et brunies.

— Et voilà comme je vis. Nous nous plaignons et nous sommes toujours mécontents, et pourtant, grâce à Dieu, les petits enfants sont braves, bien portants, et l’on arrive à vivre. Quant à moi…

— Et de quoi vivez-vous ?

— Je gagne un peu. Dans le temps, la musique m’ennuyait, mais maintenant elle me rend service.

Sa main, qu’elle tenait appuyée sur la commode, tapotait machinalement le meuble comme pour un exercice.