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Dieu m’ayant punie, je vis mal, très mal.

— Mais comment as-tu vécu avec ton mari ?

— Très mal. Je l’ai épousé par un amour honteux. Papa ne voulait pas, mais je n’y ai pris garde et j’ai passé outre. Épouse, au lieu d’aider mon mari, je le torturais de ma jalousie que je n’arrivais pas à vaincre en moi.

— J’ai entendu dire qu’il buvait.

— Oui, mais au lieu de le calmer, je lui faisais des reproches. Et c’est pourtant une maladie : il ne pouvait se retenir et je me souviens maintenant comme je l’en empêchais. Et nous avions des scènes terribles.

Ses beaux yeux, où se reflétait la souffrance du souvenir, regardaient Kassatsky qui, maintenant, se rappelait avoir entendu dire que son mari battait Pachenka. Et, regardant le cou long et maigre strié de grosses veines et la tête coiffée de cheveux mi-gris, mi-blonds, il lui sembla voir comment ces scènes se passaient.

— Alors je suis restée seule avec deux enfants, sans moyens d’existence.

— Mais vous aviez pourtant un bien ?

— Nous l’avions déjà vendu du temps de Basile.. et nous avons tout dépensé. Il fallait vivre et comme toutes les jeunes filles du monde, je ne savais rien faire. J’étais particulièrement inhabile et peu faite pour la lutte. Alors, nous avons dépensé le dernier argent. En donnant des leçons aux enfants, j’ai moi-même appris quelques bribes. Alors, mon Mitia tomba malade, en quatrième, et Dieu le prit. Marie s’éprit de Vania, mon gendre. Il est bon, mais malheureux, malade.

— Maman, interrompit la voix de la fille, prenez