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fut aussitôt remplacé par des visions et des souvenirs.

Il se vit alors enfant, dans la maison de sa mère, à la campagne. Une voiture s’arrête devant le perron et son oncle, Nicolas Serguievitch, en descend avec sa large barbe noire. Et avec lui une petite fillette maigriotte, au visage timide et aux grands yeux noirs. C’est Pachinka. On l’amène auprès des garçons, qui sont forcés de jouer avec elle. Ce qui est très ennuyeux. On la tourne en dérision et on l’oblige à montrer comment elle fait pour nager. Elle se couche par terre et fait des mouvements de natation. Les garçons rient et l’appellent imbécile. Ce que voyant, elle rougit et semble si piteuse que Serge ne peut plus oublier ce bon sourire si soumis.

Puis il se souvient de l’avoir vue un peu plus tard, après cela, avant son entrée au couvent. Elle était mariée à un propriétaire terrien qui avait dilapidé toute sa dot et qui la battait. Elle avait eu deux enfants : une fille et un fils mort en bas âge. Il l’avait vue encore une fois au couvent, déjà veuve. Elle était toujours la même, on ne peut dire bête, mais insignifiante et pitoyable. Très pauvre, elle avait amené sa fille et le fiancé de celle-ci. Puis il avait entendu dire qu’elle habitait une ville lointaine et souffrait de la misère.

— Pourquoi penser à elle ? se demanda-t-il.

Mais il ne pouvait pas s’empêcher d’y penser.

— Où est-elle ? Est-elle toujours aussi malheureuse que jadis ? Mais qu’ai-je donc à penser à elle ? C’est bien assez.

L’effroi revint et, pour se sauver, il pensa à Pachinka.