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lui-même n’était jamais parvenu à recevoir de Dieu la libération de cette misérable passion.

Il songea aux oraisons d’autrefois, alors que le Tout-Puissant semblait avoir accueilli ses suppliques.

Il était pur alors et avait eu le courage de se trancher un doigt. À ce souvenir, l’ermite contempla le tronçon rétréci du membre mutilé et, le portant à ses lèvres, le baisa. Il lui sembla alors qu’il avait été humble et que l’amour divin avait résidé en lui. Il se rappela avec quelle tendresse il avait accueilli un vieillard, ce soldat ivre qui lui demandait de l’argent, et elle, la jeune femme…

Et maintenant ? Il se demandait s’il aimait quelqu’un ? Sophie Ivanovna, le père Sérapan ? Avait-il ressenti de l’amour pour ceux qu’il avait vus ce jour-là ? Pour ce jeune savant, avec lequel il s’était entretenu en pensant uniquement à montrer sa sagesse et combien il était au courant de la science contemporaine ? Il constata aussi qu’ayant besoin de l’amour des autres, lui-même n’aimait personne… Il n’y avait en lui ni amour, ni humilité.

Il avait été heureux d’apprendre que la fille du marchand n’eût que vingt-deux ans et maintenant il était impatient de la savoir jolie et pleine de charme féminin.

— Est-il possible que je sois tombé si bas ? songea-t-il en joignant les mains.

Les rossignols répandaient leur chant dans la pénombre. Un insecte grimpa le long de sa nuque.

— Mon Dieu, aidez-moi, soupira-t-il.

Puis le doute revint.

« Existe-t-il en réalité ? Je frappe à une porte fermée de l’intérieur. Le cadenas est pendu au dehors