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dans laquelle il parlait de renoncement. Il se pressait de la terminer pour faire venir le marchand et sa fille malade, à laquelle il commençait à porter intérêt. C’était une distraction, des figures nouvelles, ce père et sa fille qui le considéraient comme un saint dont la prière est toujours exaucée. Bien qu’il s’en récusât au fond de lui-même, il se considérait comme tel.

Il lui arrivait parfois de s’étonner que lui, Stéphane Kassatski fût devenu un saint capable de miracles, car il ne doutait pas de son pouvoir. Il ne pouvait ne pas croire aux miracles, car il les avait vus lui-même, depuis celui du petit garçon rachitique, jusqu’à la vieille à laquelle ses prières avaient rendu la vue. Si étrange que cela parût, c’était ainsi. La fille du marchand l’intéressait parce que c’était nouveau, qu’elle avait foi en lui et encore parce qu’il lui fallait essayer sur elle son pouvoir, ce qui allait encore augmenter sa renommée.

« On fait des milliers de verstes pour venir me voir. On parle de moi dans les journaux, le souverain me connaît et même l’Europe mécréante », songea-t-il.

Et, soudain, il eut honte de son orgueil et se remit à prier.

« Seigneur, Roi du Ciel, Consolateur divin, âme de la vérité, venez et descendez en moi, purifiez-moi de tout mal et sauvez mon âme. Purifiez-moi de l’abject orgueil humain qui me domine », répéta-t-il en se rappelant combien de fois et combien en vain il avait prié de la sorte.

Sa prière faisait des miracles pour les autres, mais