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à le bousculer, et surtout parce que le père Serge lui était nécessaire. Il était veuf et il avait conduit ici, à quatorze cents verstes, sa fille unique toujours malade et qui ne pouvait se marier, afin qu’elle fût guérie par l’ermite. Depuis deux ans, on l’avait soignée vainement en différents endroits. Debord dans une clinique d’une ville universitaire, puis chez un moujik rebouteux, dans le gouvernement de Samara.

Le marchand tomba de nouveau à genoux et joignit les mains. Le père Serge songea combien difficile était son rôle et avec quelle humilité il le supportait. Puis, après un court silence, il soupira lourdement :

— Bien, amenez-la ce soir. Je prierai pour elle, car maintenant je suis fatigué.

Le marchand sortit sur la pointe des pieds, ses chaussures craquant encore davantage, et l’ermite resta seul.

Sa vie entière était comblée de services et de visites. Mais cette journée avait été particulièrement pénible. Un haut fonctionnaire était venu dans la matinée pour causer longuement avec lui. Après cela vint une femme, en compagnie de son fils, un jeune professeur, qu’elle avait conduit au père Serge pour la conversion possible. La conversation avait été désagréable. Il était évident que le jeune homme, ne voulant pas discuter avec le moine, faisait semblant d’être du même avis. Mais le Père Serge voyait que, malgré son athéisme, son visiteur était parfaitement heureux. Il était tranquille et calme. Aussi se souvenait-il de cet entretien avec un mécontentement visible.

— Voulez-vous manger, petit père ? demanda le frère-lai.