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dès sa sortie, la foule des pèlerins se précipita vers lui, quémandant les bénédictions, les conseils et l’aide morale. Il y avait là de ces femmes qui hantent sans cesse les lieux de pèlerinage et qui s’attendrissent devant chaque sanctuaire. L’ermite connaissait ce type froid, conventionnel, sans vraie religion. Il y avait aussi des pèlerins, la plupart anciens soldats, ayant perdu l’habitude de la vie sédentaire, des vieillards misérables et ivrognes qui errent d’un couvent à l’autre pour y trouver quelque nourriture. Il y avait encore des paysans et des paysannes ne voulant égoïstement que la guérison ou la solution des problèmes des plus terre à terre : le mariage d’une fille, la location d’une boutique, l’achat d’une terre ou la rémission du péché d’adultère. Il connaissait cela depuis longtemps et ne s’y intéressait que peu ; il savait qu’il n’apprendrait rien de nouveau, que tous ces visages ne provoqueraient chez lui aucun sentiment de piété, mais il aimait à voir cette foule, car il savait qu’il leur était indispensable par ses bénédictions et ses paroles. C’était une charge, mais cependant agréable. Le père Séraphin ayant voulu les chasser en disant que le père Serge était fatigué, il se souvint des paroles de l’Évangile : « Laissez venir à moi les petits enfants », s’attendrit à ce souvenir et demanda qu’on les laissât approcher.

Il se leva, alla vers la barrière derrière laquelle ils se pressaient, les bénit et, de sa voix dont la faiblesse l’émouvait lui-même, répondit à leurs questions. Mais, malgré sa meilleure volonté, il ne put leur répondre à tous. Il eut un éblouissement, vacilla et se retint à la barrière. Le sang affluait à la tête, il pâlit, puis à nouveau devint rouge.