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et partir. Il prendrait d’abord le train, qui le conduirait à trois cents verstes de là. Puis il descendrait et irait visiter les villages.

Autrefois, il avait recueilli des renseignements auprès d’un vieux soldat vagabond. Celui-ci lui avait dit où il fallait aller pour être bien reçu. Le père Serge voulut suivre ces indications. Et une nuit même, il revêtit la vieille défroque paysanne et déjà se disposait à partir, quand l’indécision le saisit soudain, et il resta. Depuis ce temps, les vêtements de moujick lui rappelaient ses pensées et ses sentiments passés.

Le nombre des visiteurs devenait plus important de jour en jour. En revanche, le temps dont il disposait pour la prière et la méditation diminuait. Parfois, il songeait qu’il était semblable à un coin de terre où, jadis, aurait jailli une source.

« Il y avait une faible source d’eau vive qui coulait en moi. C’était une vie véritable, quand, pour me tenter, elle vint. (Il voulait dire la mère Agnès dont le souvenir, le souvenir de cette nuit de paroxysme, le plongeait en extase.) Elle but de cette eau claire, mais depuis ce temps-là les assoiffés arrivent, se bousculent et se repoussent les uns les autres. Et c’est ainsi qu’ils la tarissent et la transforment en boue. »

Il songeait ainsi dans ses meilleurs instants, mais son état habituel était la fatigue et l’apitoiement devant sa propre fatigue.

On était au printemps, la veille des Rogations. Le père Serge servait un salut dans la petite chapelle qu’on avait érigée dans sa grotte. Les fidèles, au nombre d’une vingtaine, l’emplissaient jusqu’à l’entrée. Ce n’étaient que seigneurs et marchands. Car bien que