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attendait toujours s’il ne voulait pas dire encore quelque chose) ; ensuite il releva la tête, repoussa son bonnet en arrière, sourit de ce sourire particulier, enfantin, qui avait charmé Marie Vassilievna.

— Cela se peut, dit-il, évidemment flatté à l’idée que l’histoire de sa vie serait lue à l’empereur.

— Raconte (en tatar le vous n’existe pas) depuis le commencement, sans te presser, dit Loris Melikoff, tirant de sa poche un carnet.

— Cela se peut. Seulement il y a beaucoup, beaucoup à raconter. Il y a eu beaucoup d’événements, dit Hadji Mourad.

— Si tu ne peux pas tout raconter aujourd’hui, tu termineras un autre jour, dit Loris Melikoff.

— Faut-il commencer par le commencement ?

— Oui, dès la naissance : où tu es né, où tu as vécu…

Hadji Mourad baissa la tête et longtemps resta assis ainsi ; ensuite il prit une petite baguette qui était près du divan, tira de dessous son poignard un petit couteau à manche d’ivoire incrusté d’or, tranchant comme un rasoir, et se mit à taillader la baguette en même temps qu’il parlait.

— Écris : je suis né à Tselmess, un petit aoul, pas plus grand qu’une tête d’âne, comme on dit chez nous, commença-t-il. Non loin de là, à deux portées de fusil, se trouve Khounzakh, où les Khans vivaient. Notre famille était très liée avec eux. Quand ma mère mit au monde mon frère aîné, Osman, elle fut prise comme nourrice du fils