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laisser cela ainsi. Et on l’avait laissé. Mais Piotr ne put recevoir ni la nouvelle que sa femme était partie de la maison, ni le rouble, ni les dernières paroles de sa mère. Cette lettre et l’argent furent retournés avec la nouvelle que Piotr avait été tué à la guerre en défendant le tzar, la patrie et la religion orthodoxe, comme l’écrivit le scribe militaire.

À cette nouvelle, la vieille commença par hurler tant qu’elle put, et ensuite elle se remit au travail. Et le premier dimanche qui suivit, étant allée à l’église, elle fit dire une messe et inscrire le nom de Piotr pour être mentionné parmi les défunts, puis elle distribua des petits morceaux de pain bénit aux braves gens afin qu’ils prient pour l’esclave de Dieu, Piotr.

Axinia sanglota aussi en apprenant la mort de son mari bien-aimé, avec qui elle n’avait vécu qu’une année. Elle plaignait son mari et toute sa vie perdue, et, au milieu de ses sanglots, elle mentionnait les boucles blondes de Piotr Mikhaïlovitch, et son amour, et sa triste vie avec l’orphelin Ivan, et elle reprochait amèrement à Piotr d’avoir eu pitié de son frère plutôt que d’elle qui était forcée de gagner son pain chez les étrangers. Mais au fond de son âme Axinia était heureuse de la mort de Piotr. Elle était de nouveau enceinte de l’employé chez qui elle travaillait, et maintenant personne ne pourrait plus l’injurier, et l’employé pourrait l’épouser comme il le lui disait quand il lui parlait d’amour.