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et aucun de vous n’est capable de travailler. Piotr, lui, travaillait pour deux. Ce n’est pas comme…

Par le sentier opposé à la cour s’approchait une vieille femme en faisant grincer la neige sous ses lapti neufs mis sur des bandelettes de laine très serrées. Les hommes mettaient le grain en tas ; la femme et la jeune fille aidaient.

— L’ancien du village est venu ; tous doivent amener la brique, pour la corvée, dit la vieille ; j’ai préparé le déjeuner. Allons, venez !

— Bon, attelle le cheval et va, dit le vieux à Akim, – et prends garde qu’on ne soit pas obligé comme l’autre jour de répondre pour toi. Rappelle-toi Piotr.

— Quand il était à la maison on l’injuriait, répondit Akim à son père ; mais comme il n’est plus là, c’est mon tour.

— Tu le mérites, répondit avec colère la mère. Ne te compare pas à Piotr.

— C’est bon, dit le fils.

— Oui, oui, c’est bon. Tu as vendu la farine pour boire, et maintenant tu dis : bon.

— Il ne faut pas parler deux fois du vieux levain, dit la bru.

La mésintelligence entre le père et le fils datait déjà de loin ; elle avait éclaté presque aussitôt après le départ de Piotr pour le régiment. Dès les premiers jours le père sentit qu’il avait échangé le coucou contre l’épervier. Il est vrai que d’après la coutume, que le vieux respectait, celui qui n’avait pas d’enfants devait s’engager à la place de celui