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Nos yeux se rencontrent, se regardent de plus en plus profondément, et j’ai peur, et je vois que lui aussi a peur.

Mais, procédons par ordre.

Il est le fils d’Anna Pavlovna Loutkovski ; sa famille est apparentée aux Oblonski et aux Mikha-chni. Son frère aîné, le très connu Loutkovski, et lui, le mien, furent tous deux à Sébastopol, uniquement pour ne pas rester chez eux quand des gens se faisaient tuer là-bas. Il est au-dessus de toute vanité. Aussitôt après la guerre il donna sa démission et prit un service quelconque à Pétersbourg. Maintenant il vit dans notre province, et il est membre d’un comité. Il est jeune, mais on l’apprécie et on l’aime. C’est Michel qui l’a amené chez nous. À la maison, il est devenu bientôt comme un parent. Il a plu à maman et elle lui a fait un accueil très aimable. Papa l’a reçu avec une certaine froideur, comme tous les jeunes gens qui peuvent être des partis pour ses filles. Il s’est mis aussitôt à faire la cour à Nadine, comme on fait la cour à une jeune fille de seize ans ; mais tout de suite, au fond de mon âme, j’ai senti qu’il venait pour moi, mais je n’ai pas osé me l’avouer. Il venait souvent à la maison, et dès le premier jour, bien qu’aucune parole n’ait été échangée entre nous, je savais que tout était décidé, que c’était lui.

Hier, en partant, il m’a serré la main. Nous nous sommes rencontrés sur le palier de l’escalier. Je ne sais pas pourquoi, j’ai senti que je rougissais. Il m’a regardé et il est devenu encore plus