Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/312

Cette page a été validée par deux contributeurs.

solitude. Non seulement j’ai réfléchi, mais j’ai écrit. » Et elle sourit de ce sourire gêné qui donnait une expression si charmante et si triste à son visage vieilli. — « J’ai noté mes pensées sur ce sujet, ou plutôt, ce que j’ai appris par expérience. Autrefois, il y a longtemps, quand j’étais jeune fille, puis plus tard, déjà mariée, j’ai écrit mon journal. Après, quand cela a commencé, il y a dix ans… »

Qu’est-ce qui avait commencé, elle ne me l’a pas dit, mais j’ai compris qu’elle voulait parler de ses rapports avec les aînés de ses enfants, de leurs discordes, de leurs luttes. À la mort de son mari, la fortune était tombée entre ses mains.

— « J’ai cessé de l’écrire. Récemment, en rangeant mes affaires, ici, j’ai retrouvé ces cahiers. Je les ai relus. Il s’y trouve beaucoup de choses stupides, mais aussi beaucoup de choses bonnes et instructives, vraiment, — de nouveau un sourire, — j’ai hésité à les brûler ou non. J’ai demandé conseil au père ; il m’a ordonné de les brûler. Mais il ne comprend pas. C’est absurde ; je n’ai rien brûlé. »

Je retrouvais dans ces paroles sa façon particulière, illogique, de penser. Elle obéit à Nicodème en tout ; elle s’est installée ici pour être guidée par lui, et, en même temps, elle trouve absurde ce qu’il décide et n’en fait qu’à sa guise.

— « Je n’ai rien brûlé, et depuis, j’ai encore écrit deux cahiers. Seule, ici, je n’ai rien à faire. J’ai écrit ce que je pense de tout cela. Alors voilà, quand je mourrai, — je n’y songe pas encore, ma