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vide. Certaines aspirations de son âme, les meilleures, les principales, furent étouffées une fois lui mort.

Alors voilà, nous causâmes de lui, de ses idées sur la vie, dont il résumait en ceci toute la moralité : prendre des autres le moins possible et leur donner le plus possible de soi-même, de son âme. Et selon lui, pour prendre le moins possible il fallait posséder la première vertu, selon Platon, l’abstinence : dormir sur une planche, porter été comme hiver le même vêtement, se nourrir de pain et d’eau, et, comme suprême luxe, boire du lait. (Il avait vécu ainsi, et Marie Alexandrovna attribuait à cela la perte de sa santé.) D’autre part, afin de pouvoir donner aux autres, il fallait développer en soi des forces morales, parmi lesquelles la principale, l’amour, l’amour actif : servir le prochain, améliorer sa vie. Il eût voulu élever ainsi les enfants, mais les exigences des parents, soumis aux coutumes, étaient autres, et il en résulta quelque chose de moyen. Cependant c’était bien. Malheureusement cela ne dura pas assez longtemps. Ils ne l’eurent chez eux que quatre ans…

— « Oui, imaginez-vous, me dit-elle, maintenant je vais souvent au sermon, j’entends le père Nicodème, eh bien, — elle posa sur moi ses yeux souriants et je me rappelai sa hardiesse de jugement habituelle, — eh bien, le croiriez-vous ? tous ses sermons sont de beaucoup inférieurs à ce que j’entendais dire à Pierre Nikiforovitch. C’est la