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leva. On voulut la faire monter, mais elle monta seule. Elle avait seulement honte à cause de sa robe déchirée.

— Et où est ton frère ? demanda une des femmes qui s’étaient approchées de Rina.

— Je ne sais pas, je ne sais pas, prononça-t-elle avec désespoir. (À la maison elle apprit qu’Alec, tout au commencement de la catastrophe, avait réussi à sortir de la foule et était rentré chez lui indemne.)

— C’est lui qui m’a sauvée, dit Rina. Sans lui je ne sais pas ce qui me serait arrivé. Comment vous nomme-t-on ? demanda-t-elle à Émelian.

— Moi ? Pourquoi ?

— C’est une princesse, très riche, dit une femme.

— Accompagnez-moi chez mon père, il vous remerciera.

Tout d’un coup dans l’âme d’Émelian jaillit quelque chose de fort, qu’il n’aurait pas changé contre le gros lot de deux cent mille roubles.

— Quoi ! Non, mademoiselle, va chez toi. Il n’y a pas de quoi remercier.

— Non, non ; je ne serai pas tranquille…

— Adieu, mademoiselle. Dieu te garde. Seulement n’emporte pas mon paletot.

Et il eut un tel sourire joyeux que Rina se le rappelait comme consolation dans les moments les plus pénibles de sa vie.