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— C’est un mensonge ! dit Émelian, assis avec ses camarades autour des victuailles étalées sur un papier. — C’est un mensonge ! dit-il en réponse au récit d’un ouvrier qui venait d’arriver et racontait ce que l’on distribuait au peuple.

— Comme je te le dis. Ce n’est pas d’après la loi, mais on donne. Je l’ai vu moi-même. Ils portent un paquet et un verre.

— Sans doute ces maudits employés, qu’est-ce que cela leur fait ? Ils donnent à qui ils veulent.

— Mais qu’est-ce que cela signifie ? Peut-on agir contre la loi ?

— Tu vois bien qu’on le peut.

— Allons, camarades, il n’y a pas à attendre. Tous se levèrent. Émelian glissa dans sa poche la bouteille contenant encore de l’eau-de-vie, et avança avec ses compagnons.

Ils avaient fait à peine vingt pas qu’il devint très difficile d’avancer à cause de la bousculade.

— Où vas-tu ?

— Et toi ?

— Quoi ! Tu n’es pas seul !

— Assez !

— Mon Dieu ! On étouffe ! prononça une voix de femme. Des cris d’enfants éclatèrent d’un autre côté.

— Que le diable t’emporte !…

— Mais enfin, il n’y a pas que toi ! On prendra tout… Je vais leur faire voir à ces diables !…

C’était Émelian qui criait et, avançant ses larges épaules, jouant des coudes, se frayait un chemin en avant, ne sachant lui-même pourquoi,