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s’assirent avec leurs provisions. Enfin paraît le soleil pur, clair, gai. On se met à chanter, on bavarde, on plaisante, on rit, on s’amuse de tout, on attend de la joie. Émelian boit avec ses camarades, fume une cigarette et se sent encore plus joyeux.

Tous étaient en fête, et parmi les ouvriers et leurs femmes endimanchés, on remarquait de riches marchands avec leurs épouses et leurs enfants qui s’étaient mêlés au peuple. Dans la foule circulait aussi Rina Golitzine, joyeuse, rayonnante à la pensée d’avoir atteint ce qu’elle voulait : fêter avec le peuple, dans le peuple, l’avènement au trône du tzar adoré de ses sujets. Elle se promenait avec son cousin Alec entre les bûchers.

— À votre santé ! mademoiselle, lui cria un jeune ouvrier de fabrique, en portant à ses lèvres un petit verre. — Ne voulez-vous pas trinquer avec nous ?

— Merci. Buvez à notre santé ! dit Alec, pour montrer qu’il connaissait les coutumes populaires. Et ils s’éloignèrent.

Par l’habitude d’occuper toujours les premières places, se frayant un chemin dans le champ, parmi la foule, à l’endroit où elle était déjà très compacte (la foule était si dense que, malgré la pureté de l’air matinal, une sorte de brouillard produit par la respiration des gens épaississait l’atmosphère), ils se dirigeaient vers la tribune impériale. Mais les agents de police ne leur permirent pas d’avancer.

— C’est bien. Je vous prie, retournons là-bas, dit Rina ; et ils retournèrent dans la foule.