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Jacques, un garçon très gai, qui logeait derrière la cloison.

— Pourquoi ne pas dormir ? objecta Émelian. Nous sortirons à l’aube. Les camarades l’ont dit.

— Alors, si l’on se couche, il faut se coucher tout de suite. Seulement, Sémionitch, éveille-moi.

Sémionitch, c’est-à-dire Émelian, promit ; et lui-même, prenant de sa table des fils de soie, s’approcha de la lampe et se mit à coudre un bouton à son pardessus d’été. Cela fait, il prépara son habit des dimanches et le posa sur le banc ; puis il brossa ses bottes ; ensuite il fit sa prière, c’est-à-dire récita le Pater et l’Ave, dont il ne comprenait pas le sens, et qu’il n’avait jamais cherché à comprendre ; enfin, ayant ôté ses bottes et son pantalon, il se coucha sur le matelas aplati de son lit grinçant.

« Pourquoi pas, pensa-t-il. Il y a des gens qui ont de la chance. Peut-être moi aussi aurai-je un billet de loterie. (Le bruit courait parmi le peuple que, sauf les cadeaux, on distribuait aussi des billets de loterie.) Je ne demande pas des dix-mille roubles, mais au moins cinq cents. Ce que je ferais si j’avais cet argent ! J’enverrais aux vieux ; je ferais revenir ma femme. Est-ce une vie d’être toujours séparés ! Je m’achèterais une bonne montre. Je ferais faire une pelisse pour elle et une pour moi. Tandis que maintenant, on traîne, on traîne, et c’est toujours la misère… »

Et il se voit se promenant au jardin Alexandre avec sa femme. Il voit ce même agent de police qui,