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KHODYNKA

— Je ne comprends pas cette obstination. Pourquoi veux-tu veiller toute la nuit et aller, à la première heure, te mêler au peuple, quand tu peux tranquillement, demain, aller dans la tribune impériale avec tante Véra ? Et là tu verras tout. Je t’ai déjà dit que Berr m’a promis de t’accompagner, et, comme demoiselle d’honneur de l’impératrice, c’est ton droit.

Ainsi parlait le prince Paul Golitzine, très connu dans toute la haute société, qui l’avait surnommé « Pigeon », à sa fille de vingt-trois ans, Alexandra, que ses familiers appelaient Rina.

Cette conversation avait lieu le soir du 17 mai 1893, à Moscou, la veille de la fête populaire du couronnement. Voici de quoi il s’agissait : Rina, une forte et belle jeune fille, au profil caractéristique des Golitzine, nez busqué d’oiseau de proie, avait déjà passé la période d’enthousiasme pour les bals et les soirées, et était, ou du moins se croyait, une femme avancée, aux idées populistes. Elle était fille unique et favorite de son père et faisait tout ce qu’elle voulait. L’idée lui était venue d’aller à la fête populaire avec son cousin,