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vent agitait les branches des arbres, tantôt découvrant, tantôt cachant les étoiles.

— Dis donc, Antonitch, demanda tout d’un coup à Panoff le joyeux Avdeieff, est-ce qu’il t’arrive de t’ennuyer ?

— Qu’est-ce que c’est que l’ennui ? répondit nonchalamment Panoff.

— Et moi, il m’arrive de m’ennuyer tellement, tellement, qu’il me semble que je ne saurais pas même que faire de moi…

— Tiens ! fit Panoff.

— L’argent que j’ai, autrefois, dépensé à boire, c’était l’ennui. Ça me saisit, ça me saisit, et je pense : si je me soûlais…

— Mais il arrive qu’après le vin c’est encore pire.

— Oui, cela arrive, mais qu’y faire ?

— Mais pourquoi t’ennuies-tu ainsi ?

— Moi ? Mais je m’ennuie après la maison…

— Quoi ! Est-ce qu’on vivait si richement chez toi ?

— Pas richement, mais on était à l’aise. C’était une bonne vie. Et Avdeieff se mit à raconter ce qu’il avait déjà raconté plusieurs fois au même Panoff.

— Je me suis engagé de plein gré, en place de mon frère, dit Avdeieff. Il avait cinq enfants, tandis que moi je venais de me marier. C’est la mère qui m’a supplié… J’ai pensé : Eh bien ! qu’est-ce que cela me fait ; ils se rappelleront peut-être le bien que je leur fais… Je suis allé trouver notre maître. C’est un bon maître… Et