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À l’air, avec le mouvement, je me trouvai mieux, mais je sentais que quelque chose de nouveau envahissait mon âme et empoisonnait toute ma vie passée.

Vers la nuit nous arrivâmes à destination. Pendant toute la journée j’avais lutté contre mon angoisse et l’avais vaincue ; mais il restait dans mon âme un résidu affreux, comme si un malheur m’était arrivé, et la seule chose dont j’étais capable, c’était de l’oublier pour un moment. Mais il était là, au fond de mon âme, et me tourmentait.

Nous arrivâmes le soir. Un petit vieillard, le gérant, me reçut bien, quoique sans plaisir (il était ennuyé qu’on vendît la propriété). Il y avait des chambres propres, avec des sièges moelleux. Le samovar neuf brillait, le service à thé était de grande dimension ; il y avait du miel pour le thé. Tout était bien. Mais, comme s’il se fût agi d’une vieille leçon oubliée, j’interrogeai nonchalamment sur la propriété. Je ne me sentais pas en train. Cependant je m’endormis sans angoisse. Je l’attribuai à ce que j’avais prié avant de me coucher.

Je recommençai alors à vivre comme auparavant, mais la peur de cette angoisse restait désormais suspendue sur moi pour toujours. Je devais vivre sans m’arrêter, et, principalement, dans les conditions habituelles, vivre par habitude. De même qu’un écolier récite sans penser la leçon apprise par cœur, de même moi, pour ne pas