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banc étroit, un bras ballant. Il dormait calmement. Le garçon à la joue tachée dormait aussi. J’étais allé dans le couloir pensant m’enfuir de ce qui me tourmentait, mais cela me suivait et envahissait tout mon être. J’avais encore plus peur.

« Mais quelle est cette sottise ? me dis-je. De quoi ai-je peur ? Pourquoi cette angoisse ? »

« On ne m’entend pas, répondit la voix de la mort. Je suis là. »

Un frisson parcourut mon corps.

Oui, la mort ! Elle viendra, elle est là et ne doit pas être. Si en effet je devais mourir, je n’aurais pas pu éprouver ce que j’avais éprouvé. Alors j’aurais peur ; tandis que maintenant je n’avais pas peur ; mais je voyais que la mort arrivait et en même temps je sentais qu’elle ne devait pas être. Tout mon être sentait le besoin de la vie, le droit à la vie, et, en même temps, sentait la mort qui était là. Ce déchirement intérieur était épouvantable. J’essayai de secouer ce cauchemar. Je trouvai un bougeoir de cuivre avec une chandelle à demi consumée. Je l’allumai. La lumière rougeâtre de la chandelle et sa dimension, un peu moindre que le bougeoir, tout me disait la même chose : Il n’y a rien dans la vie ; il y a la mort, et elle ne doit pas être. J’essayai de penser à ce qui me préoccupait, à l’achat, à ma femme… Non seulement il n’y avait rien de gai, mais tout cela était néant. L’horreur de voir disparaître ma vie obscurcissait tout.

Il fallait dormir. Je me couchai. Mais, aussitôt,