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poste. Le voyage m’était très agréable. Mon domestique, un garçon jeune, de bonne humeur, était aussi gai que moi. De nouveaux endroits, de nouvelles gens, tout nous réjouissait. Jusqu’à la propriété, il y avait plus de deux cents verstes. Nous résolûmes d’y aller sans nous arrêter sauf pour changer de chevaux. La nuit vint, nous allions toujours. Je commençais à somnoler, puis je m’endormis. Tout d’un coup, je m’éveillai. J’avais peur. Comme il arrive souvent, je m’étais éveillé, effrayé, excité, et il me semblait que je ne me rendormirais jamais. « Pourquoi vais-je ? Où vais-je ? » me passa-t-il tout d’un coup en tête. L’idée d’acheter à bon compte la propriété ne me déplaisait cependant point, mais, tout d’un coup, il me parut que je n’avais pas besoin d’aller dans ce trou, que je mourrais là-bas, dans cet endroit étranger. Et je sentis l’angoisse me saisir. Serge, mon domestique, s’éveilla. Je profitai de l’occasion pour causer avec lui. Je me mis à lui parler du pays que nous traversions. Il me répondit en plaisantant et j’éprouvai de l’ennui. Je parlai de ma famille, de la manière dont nous achetions la propriété, et j’étais surpris de la gaîté avec laquelle il me répondait. Tout lui paraissait bien et gai, et moi, tout me dégoûtait. Toutefois, pendant que je lui parlais, je me sentais mieux. Mais, outre que je m’ennuyais, je me sentais angoissé, je commençais à éprouver de la lassitude ; j’aurais voulu m’arrêter. Il me semblait que si je rentrais à la maison, voyais du monde et, principalement, m’endormais,