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alors pourquoi le battait-on ? Est-ce qu’il avait mal ? Tante, a-t-il souffert ?

— Voyons, assez. Je vais aller prendre le thé.

— Mais ce n’est peut-être pas vrai ? On ne l’a peut-être pas battu ?

— Je vous dis, assez…

— Non, tante, ne t’en va pas.

Et de nouveau ma folie me reprit, je sanglotai, sanglotai, puis commençai à me frapper la tête contre les murs.


Voilà comment se manifestait ma folie dans l’enfance. Mais à partir de l’âge de quatorze ans, quand la passion sexuelle s’éveilla en moi et que je m’adonnai au vice, tout cela disparut, et j’étais un garçon comme tous les autres. Comme tous, nous étions élevés avec une nourriture grasse, abondante ; nous étions gâtés : aucun travail manuel et toutes les tentations possibles pour enflammer la sensualité ; de plus, nous étions entourés de pareils enfants gâtés. Les garçons de mon âge m’apprirent le vice et je m’y livrai. Plus tard ce vice se remplaça par un autre : je connus les femmes. Et ainsi, en cherchant les plaisirs et les trouvant, je vécus jusqu’à trente-cinq ans. J’étais tout à fait bien portant, sans aucun indice de folie.

Ces vingt années de ma vie d’homme bien portant ont passé pour moi de telle façon que je ne me rappelle presque rien ; et ce que je me rappelle me cause maintenant de la tristesse et du dégoût.