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LE JOURNAL D’UN FOU


20 octobre 1883.


AUJOURD’HUI on m’a amené à la Chancellerie, pour examiner mon état mental. Les opinions étaient partagées. Ils ont discuté, puis décidé que je ne suis pas fou. Mais ils en ont décidé ainsi parce que, pendant l’examen, je me suis tenu sur mes gardes, mettant toutes mes forces à ne pas me montrer sous mon vrai jour. Je n’ai pas dit tout, par crainte de la maison des fous. Je crains que, là-bas, on ne m’empêche de poursuivre mon idée folle. Ils m’ont reconnu comme sujet à des arrêts de conscience, et encore quelque chose, mais sain d’esprit. Ils ont reconnu cela, mais moi, je sais que je suis fou. Le docteur m’a prescrit un traitement en m’assurant que, si je m’y soumets strictement, cela passera. Tout ce qui m’inquiète passera. Oh ! que ne donnerais-je pour que cela passe ; je souffre trop ! Je raconterai tout en ordre, comment et pourquoi je fus examiné à la Chancellerie, comment je devins fou et comment ma folie s’est trahie.

Jusqu’à l’âge de trente-cinq ans j’ai vécu comme tout le monde ; on ne remarquait en moi rien de particulier. Étant enfant, avant ma dixième année,