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était sorti de notre chambre, nous nous mîmes dans le même lit. Constantin, en chemise, était venu dans le mien. Alors nous commençâmes un jeu très gai qui consistait à se donner mutuellement des taloches sur le corps nu. Nous riions à en avoir mal au ventre et nous étions très heureux. Mais, tout d’un coup, entra Nicolas Ivanovitch, en caftan brodé d’or et orné de décorations, avec son énorme tête poudrée. Les yeux agrandis, il se jeta vers nous avec une expression d’horreur que je ne pouvais m’expliquer. Il nous sépara en nous promettant de nous punir et de se plaindre à grand’mère.

Un autre de mes souvenirs se rapporte à une époque un peu postérieure ; j’avais neuf ans. Il s’agit d’une dispute entre Alexandre Grigorovitch Orloff et Potemkine, dispute qui avait lieu chez notre grand’mère, en notre présence. C’était peu de temps avant le voyage de notre grand’mère en Crimée et notre premier voyage à Moscou.

Comme d’ordinaire, Nicolas Ivanovitch nous avait amenés chez grand’mère. Nous sommes dans une grande chambre au plafond sculpté et peint, pleine de gens. Ma grand’mère est déjà coiffée. Ses cheveux sont relevés haut sur le front et très habilement noués sur le sommet de la tête. Elle est assise, en peignoir blanc, devant une table tout en or. Ses femmes de chambre sont près d’elle et achèvent l’ornement de sa tête. Elle nous regarde en souriant, en continuant à parler à un général de haute taille, large d’épaules, portant