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l’homme, qui toujours se réalise ou approche de la réalisation ? J’ai pensé qu’il en serait ainsi pour un homme qui désirerait la mort. Toute la vie serait rapprochement vers la réalisation de ce désir. Et ce désir serait sûrement réalisé. D’abord cela m’a paru étrange ; mais en y réfléchissant, j’ai vu tout d’un coup qu’il en est ainsi, que rapprochement vers la mort est le seul désir raisonnable de l’homme ; non le désir de la mort elle-même, mais de ce mouvement de la vie qui mène à la mort. Ce mouvement, c’est la délivrance des passions et des tentations de ce commencement spirituel qui vit en chaque homme. Je le sens maintenant que je me suis affranchi de la plus grande partie de ce qui me cachait l’essence de mon âme, son unité avec Dieu, de ce qui me cachait Dieu. Je suis arrivé à cela inconsciemment. Mais si j’avais placé comme bonheur suprême (et cela est non seulement possible, mais cela doit être), si j’avais considéré comme tel l’affranchissement des passions, le rapprochement vers Dieu, alors tout ce qui m’aurait amené à la mort : la vieillesse, la maladie, aurait été la réalisation de mon seul et principal désir. C’est ainsi, et je le sens quand je me porte bien. Mais quand, comme hier et avant-hier, je souffre de l’estomac, je ne peux provoquer en moi ce sentiment, et, bien que je ne résiste pas à la mort, je ne puis désirer m’en approcher. Oui, un état pareil est un état de sommeil moral. Il faut attendre tranquillement.

Je continue mon récit. Ce que j’ai écrit de mon