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d’enfant, je sentais que ce n’était qu’une forme, que c’était non pour eux qu’il fallait être polis à leur égard, mais pour nous-mêmes, pour que notre majesté en acquît plus d’importance.

Un jour de solennité quelconque, nous allâmes en berline sur la Perspective Nevsky, nous deux et Nicolas Ivanovitch Saltikoff. Deux valets poudrés, en livrée rouge, se tenaient debout derrière. C’était une claire journée de printemps. J’étais en tunique déboutonnée, j’avais un petit gilet blanc et, sur mon gilet, le ruban bleu de la Croix de Saint-André. Kostia était mis de la même manière. Nous avions des chapeaux à plumes, qu’à chaque instant nous étions pour saluer. Le peuple s’arrêtait partout, saluait, quelques-uns couraient derrière la voiture.

— « On vous salue, répétait Nicolas Ivanovitch.

— À droite ! » Nous passons devant la maison d’arrêt militaire. La garde sort pour nous saluer. Ceux-ci je les voyais tous les jours. L’amour pour les soldats, pour les exercices militaires, était en moi dès l’enfance. On nous inspirait — surtout grand’mère qui y croyait le moins — que tous les hommes sont égaux, et que nous ne devions jamais l’oublier. Mais je savais que ceux qui parlaient ainsi ne le croyaient point.

Je me souviens qu’une fois, Sacha Golitzine qui jouait avec moi me poussa et me fit mal.

— Comment oses-tu ?

— C’est par hasard ; qu’est-ce que cela fait ?

Je sentis que d’offense et de colère mon sang m’affluait au cœur. Je me plaignis à Nicolas