Page:Tolstoï - Hadji Mourad et autres contes.djvu/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les enfants aiment tout le monde, surtout ceux qui les aiment et les caressent. Ma grand’mère me caressait, me louait, et je l’aimais malgré la mauvaise odeur qui me repoussait, et qui, en dépit des parfums placés près d’elle, s’exhalait toujours de sa personne, surtout quand elle me prenait sur ses genoux. Je n’aimais pas non plus ses mains propres, jaunâtres, ridées, glissantes, dont les doigts étaient recourbés à l’intérieur et les ongles très découverts. Ses yeux étaient troubles, fatigués, presque morts, ce qui, joint à sa bouche édentée, souriante, produisait une impression pénible mais non repoussante. J’attribuais cette expression des yeux (que je me rappelle maintenant avec dégoût) à ses soucis au sujet de ses robes, comme on me le disait, et j’avais pitié d’elle à cause de l’expression fatiguée de ses yeux. Deux fois je vis Potemkine. Cet homme énorme, loucheur, toujours suant, sale, était horrible. Il était surtout effrayant parce que lui seul n’avait pas peur de grand’mère, parlait devant elle de sa haute voix cassante, très hardiment, et bien qu’il m’appelât Altesse, il me caressait et me bousculait.

Parmi ceux que je vis chez elle, dans les premières années de mon enfance, il y avait encore Lanskoï. Il était toujours avec elle, et tous le flagornaient. Sans doute je ne comprenais pas alors quel rôle jouait Lanskoï, et il me plaisait beaucoup. J’aimais ses boucles, ses mollets et ses jambes en culottes collantes ; j’aimais son sourire heureux,