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Le charmant intérieur de sa maison proprette ! Sa ravissante fille, une beauté tout à fait russe, ma sœur de lait, était fiancée à un cocher de la Cour. Le père, le jardinier, était aussi souriant que sa femme, et il y avait une foule d’enfants, également souriants, et tous paraissaient m’éclairer dans l’obscurité. Voilà la vraie vie, le vrai bonheur, pensai-je. Comme tout est simple, clair ; aucune intrigue, aucune envie, aucune querelle. Voilà donc cette charmante Douniacha qui m’a nourri.

Ma bonne principale était une allemande, Sophie Ivanovna Benkendorf ; et j’avais pour gouvernante une anglaise, Gessler. Sophie Ivanovna était une grosse et blanche personne, au nez droit et à l’air majestueux, quand elle donnait des ordres dans la chambre d’enfants ; mais elle était extraordinairement humble et saluait bien bas devant ma grand’mère, qui avait la tête de moins qu’elle. Envers moi elle était à la fois très servile et très sévère. Tantôt, elle semblait une reine avec ses jupes amples, son visage majestueux au nez droit ; tantôt, elle devenait soudain comme une fillette et jouait. Prascovie Ivanovna Gessler était une anglaise au long visage, aux cheveux roux, toujours grave. Mais quand elle souriait, elle s’éclairait toute et l’on ne pouvait s’empêcher de sourire. Son exactitude, sa propreté, sa douceur ferme me plaisaient. Il me semblait qu’elle savait quelque chose que personne d’autre ne savait, ni ma mère ni même ma grand’mère.

Quant à ma mère, je me la rappelle d’abord comme