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mit sur un tapis, par terre ; et on me laissait seul. On m’a raconté que, les premiers temps, souvent ma grand’mère venait s’asseoir près de moi sur le tapis et jouait avec moi. Je ne me rappelle pas cela. Je ne me rappelle pas non plus ma nourrice. Ma nourrice, Avdotia Petrovna, était la femme d’un jardinier de Tzarskoïé Selo, un brave homme. Je ne me souviens pas d’elle. Je l’ai revue, pour la première fois, quand j’avais dix-huit ans. C’était à Tzarskoïé Selo. Elle s’approcha de moi et se nomma. C’était une des belles époques de ma vie, celle de ma première amitié avec Czartoryski et de mon dégoût sincère pour tout ce qui se faisait dans les deux Cours : celle de mon malheureux père et celle de ma grand’mère, que je haïssais alors. J’étais à cette époque un homme pas mauvais, ayant de bonnes aspirations. Je me promenais dans le parc avec Adam, quand d’une allée latérale sortit une femme bien mise, avec un visage extraordinairement bon, très blanc, agréable, souriant et ému. Elle s’approcha rapidement de moi, et, tombant à genoux, saisit ma main et se mit à la baiser.

— Mon chéri ! Votre Altesse ! Voilà que Dieu m’a permis de vous voir.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis votre nourrice, Avdotia. Je vous ai nourri onze mois. Enfin Dieu m’a permis de vous voir.

J’eus de la peine à la faire relever. Je lui demandai où elle habitait et lui promis d’aller la voir.