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II

MA VIE


12 décembre 1849.
D’un marécage de Sibérie près de Krasnoreschinsk.

C’est le jour de mon anniversaire. J’ai soixante-douze ans. Il y a soixante-douze ans que je naquis à Pétersbourg, au Palais d’Hiver, dans les appartements de l’impératrice ma mère, alors grande duchesse Marie Féodorovna.

Cette nuit j’ai dormi assez bien. Après l’indisposition d’hier je me suis senti un peu mieux. L’essentiel c’est que l’état de prostration morale a cessé, et la possibilité de me mettre de toute mon âme en communion avec Dieu est reparue. Hier, pendant la nuit, dans l’obscurité, j’ai prié. Je me rendais compte nettement de ma situation dans le monde : moi, toute ma vie, c’est quelque chose de nécessaire à celui qui m’a envoyé. Et je puis faire ou ne pas faire cette chose qui lui est nécessaire. En faisant ce qui lui est nécessaire, je concours à mon bonheur et à celui de tout le monde. En ne le faisant pas, je me prive du bonheur, non de tout bonheur, mais de celui qui pouvait être le mien. Mais je ne prive pas le monde du bonheur qui lui est destiné. Ce que j’aurais dû