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combien de vies des peuples d’Europe ai-je organisées, — tout cela est peu important, inutile, et tout cela ne me regarde pas. J’ai compris tout d’un coup que cela n’était point mon affaire. Mon affaire c’est moi, c’est mon âme. Toutes mes intentions antérieures d’abdication qui n’étaient alors que de la pose, le désir d’étonner ou d’attrister les hommes, de leur montrer la noblesse de mon âme, ces intentions reparaissaient maintenant, mais cette fois avec une entière sincérité ; il ne s’agissait plus maintenant des autres, mais de moi-même, de mon âme, comme si tout ce cercle brillant de ma vie passée n’avait été décrit que pour me ramener à ce désir juvénile, provoqué par le repentir, de renoncer à tout, et cela sans vanité, sans aucunement songer à la gloire humaine, mais pour moi, pour Dieu.

Autrefois ces aspirations étaient vagues, maintenant c’était l’impossibilité de continuer à vivre comme je vivais. Mais comment ? Non pour étonner les hommes, non pour être glorifié ; au contraire, il fallait s’en aller de façon que personne n’en sût rien, et souffrir. Cette pensée me causa tant de joie, me remplit d’un tel enthousiasme, que je me mis aussitôt à chercher le moyen de mettre à exécution ce projet ; et j’y employai toutes les ressources de mon esprit, toute la ruse qui m’était propre.

Et, chose extraordinaire, mon projet se trouva beaucoup plus facile à exécuter que je ne me l’étais imaginé. Mon plan était le suivant : feindre