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hommes, afin d’être admiré d’eux. Je méprisais tous les hommes, et seule l’opinion de ces hommes que je méprisais était importante pour moi ; je ne vivais et n’agissais que pour elle. Quand j’étais seul, je me sentais terriblement mal. Avec elle avec ma femme, c’était pire encore. Bornée, menteuse, capricieuse, méchante, phtisique, toute hypocrisie. C’était elle surtout qui empoisonnait ma vie. Nous étions censés revivre notre lune de miel, et c’était un enfer, sous des apparences convenables, un enfer d’hypocrisie terrible.

Une fois je fus dégoûté encore plus que de coutume. J’avais reçu la veille une lettre d’Arakchéieff au sujet de l’assassinat de sa maîtresse. Il me décrivait sa douleur désespérée. Et, chose bizarre, sa flatterie perpétuelle, fine, non flagornerie seule mais son vrai dévouement de caniche, qui datait du vivant de mon père, quand, avec lui, à l’insu de ma grand’mère, nous lui prêtâmes serment, ce dévouement de caniche faisait que si j’aimais quelqu’un les derniers temps c’était lui, bien que le mot « aimer » ne convienne guère en parlant de ce monstre. Ce qui me liait encore à lui, c’était que non seulement il n’avait pas participé au meurtre de mon père comme plusieurs autres, qui précisément à cause de leur complicité dans mon crime m’étaient odieux, mais qu’il avait été dévoué à mon père comme à moi. D’ailleurs, de tout cela je parlerai plus loin. Je dormis mal. C’est étrange à dire, le meurtre de la belle et méchante Nastasia (elle était merveilleusement belle) provoqua en