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À la fin d’avril arriva dans la forteresse un détachement que Bariatinski envoyait pour opérer un nouveau mouvement à travers la Tchetchnia, réputée infranchissable. Deux compagnies du régiment de Kabardine faisaient partie de ce détachement, et ces compagnies, d’après la coutume établie au Caucase, étaient reçues en amies par celles qui se trouvaient à Kourinskoié. Les soldats se répartissaient dans les casernes, où on les régalait non seulement de soupe, de gruau cuit et de viande, mais aussi d’eau-de-vie. Les officiers, eux, étaient les hôtes des officiers de la place qui faisaient les honneurs aux nouveaux venus. Le régal s’était terminé par une beuverie et des chansons. Ivan Matvéievitch, non plus rouge, mais la mine terreuse tellement il était ivre, était assis à califourchon sur une chaise, et faisait le moulinet contre des ennemis imaginaires, avec son sabre qu’il avait tiré du fourreau. Tantôt il proférait des injures, tantôt éclatait de rire, tantôt embrassait les officiers, tantôt dansait au motif de sa chanson favorite.

Boutler aussi était là. Il essayait de voir en tout ceci la poésie de la vie guerrière, mais au fond de son âme il ressentait de la pitié pour Ivan Matvéievitch, qu’il ne voyait aucune possibilité de retenir. Sentant qu’à lui aussi le vin montait à la tête, Boutler sortit sans se faire remarquer et se dirigea vers la maison. La lune, alors dans son plein, éclairait les maisonnettes blanches et les pierres de la route, et sa lumière était si vive que les cailloux, les brins