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se cacha derrière la tranchée sanglante des chevaux tués, et comment il combattit contre les Russes tant qu’il y eut des balles dans les fusils, des poignards aux ceintures, et du sang dans les veines. Mais, avant d’expirer, Gamzat, apercevant des oiseaux dans le ciel, leur cria : « Volez vers nos maisons, et dites à nos sœurs, à nos mères, à toutes les filles blanches, que nous sommes tous morts pour le Khazavat ! Dites-leur que nos corps n’auront pas de sépulture, mais que les loups affamés disperseront et nettoieront nos os, que les corbeaux nous arracheront les yeux ! » Ainsi se terminait la chanson, et à ces derniers mots, chantés sur un air triste, la voix énergique du joyeux Bata se joignit à celle de Khanefi, et, tout à la fin de la chanson, il s’écria : « Laï laka, Illakha ! » et fit entendre un sifflement perçant. Ensuite les chansons cessèrent, et de nouveau on n’entendit plus que le chant du rossignol dans le jardin, et à travers la porte le sifflement de l’acier glissant rapidement sur la pierre.

Hadji Mourad devint si pensif qu’il ne remarqua pas qu’il avait incliné sa cruche et que l’eau coulait. Il secoua la tête, mécontent de lui-même, et retourna dans sa chambre. Après avoir fait son ablution du matin, Hadji Mourad s’assit sur son lit et se mit à examiner ses armes. Il n’y avait plus à hésiter. Pour partir il fallait demander l’autorisation du commissaire de police, et dans la cour il faisait encore noir et le commissaire dormait encore.