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Le temps était merveilleux, doux, ensoleillé ; l’air frais, vivifiant. De tous côtés craquaient les bûchers, retentissaient les chansons. Il semblait que tous fêtaient quelque chose. Boutler, l’esprit dispos, un peu attendri, alla dans la tente de Poltoradski. Quelques officiers s’y étant réunis, on dressa une table pour le jeu et l’aide de camp mit en banque cent roubles. Deux fois Boutler sortit de la tente, tenant la main sur sa bourse, dans la poche de son pantalon. Mais, à la fin, il n’y put tenir, et malgré la parole qu’il s’était donnée, et avait donnée à ses frères, de ne pas jouer, il se mit à ponter. Moins d’une heure après, Boutler, tout rouge, en sueur, son uniforme taché de craie, était assis, les deux bras appuyés sur la table, et, sur une carte froissée, marquait les chiffres de ses mises. Il avait tant perdu qu’il avait peur de compter. Du reste, sans compter, il savait qu’il avait perdu tous les appointements qu’il pouvait toucher d’avance, et que, même en y ajoutant le prix de son cheval, il ne pourrait payer les sommes qu’avait inscrites, d’après lui, l’aide de camp qu’il ne connaissait pas. Il aurait continué à jouer, mais l’aide de camp, le visage sévère, avait déposé les cartes et s’était mis à compter la colonne des chiffres de Boutler.

Boutler, confus, demanda de l’excuser s’il ne pouvait payer sur le champ ce qu’il avait perdu, et dit qu’il l’enverrait de la maison. Mais, comme il disait cela, il remarqua que tous avaient pitié de lui, et que tous, même Poltoradski, évitaient